La Nasse

Publié le 3 Février 2013

Voici le premier épisode des aventures de Degan et Lantanza, deux adolescents de La Nasse, bourgade de 20 000 habitants située au coeur de la forêt de Granliss, sur le Plat d'Herschack. Avoue que t'aurais été perdu(e) sans ces précisions géographiques!

 

 Degan avait toujours habité La Nasse et comme tout les gamins du coin, était de nature extravertie, turbulente, quelquefois jusqu'à la bagarre. Pas de violence outre mesure non, les gosses des Nasseux sont du même bois que les jeunes singes jouant à s'envoyer des claques. Il avait passé son temps à traîner avec sa bande, piquant des fruits de nodun à l'étal de temps à autre, harassant les filles parce qu'elles « sont trop nulles »* et provoquant les bandes rivales. Les enfants évidemment, ignorent qu'ils s'entraînent lorsqu'ils jouent, que leurs aptitudes de voleur leur sauvera la vie dans les temps les plus durs, qu'ils apprennent la survie face au prédateurs humains de demain et que les quolibets qu'ils lancent au sexe opposé sont les précurseurs de la taquinerie nécessaire à leurs futures tentatives de drague.
 

Mais les habitants de La Nasse avaient, au fil des siècles, appris à dompter la nature à l'extérieur et à l'intérieur de leur personne et ils n'étaient ni de la race des lions, ni de celle des singes. Avec l'âge et le besoin de se trouver un partenaire de vie, première étape pour se trouver une place dans ce petit monde, les gens du cru finissaient par se métamorphoser en buffles, durs à la tâche, bougons, casaniers et suspicieux. Ce caractère a, en définitive, forgé le principal trait culturel des Nasseux: leur aversion pour les enfants dont découle leur manque d'enthousiasme à l'éducation.

 

Degan et ses copains avaient donc passé leur enfance libre de contraintes hors de celle de l'apprentissage de la lecture (exercice de toute façon délaissé par la plupart de leurs parents) et devaient désormais passer par le douloureux cap de l'adolescence, de l'apprentissage d'un métier harassant chez leur père/oncle/voisin et de la répression forcée de tous leur rêves d'insouciance. Finalement, très peu d'entre eux sortiront du schéma sociétal qui leur était constamment rappelé à la mémoire comme une fatalité, un sédatif à la fougue du jeune âge.
 

Il avait observé longtemps ses congénères derrière son sourire narquois et ses blagues vaseuses et en avait conclu tout ceci avec amertume. Chaque fois qu'un membre de la Caste des Adultes lui semblait passer dans la vie avec les yeux plus ouverts et la respiration plus profonde, il finissait déçu de le voir courber à nouveau le dos quelques minutes plus tard, concluant avec une de ces phrases typiques du dialogue local.
 

« Bon, j'en ai à faire, je vous laisse »

« L'boulot, ça attend pas! »

« 'Va pas laisser l'soleil se coucher en rigolant hein! »

 

Cette dernière phrase lui arrachait des rires incrédules, puisque, toutes les fins de semaines de 6 jours, les habitants de la cité s'esclaffaient du coucher du soleil au milieu de la nuit en absorbant de copieuses quantités de limègue, un breuvage herbacé et amer titrant à peu près trois fois la quantité d'alcool d'une mauvaise bière, deux fois celle d'une bonne. Mais même alors, la routine prévalait. Comprenez par là que le stock de vannes du Nasseux lambda était toujours sensiblement identique à celui du voisin.

 

Degan ne supportait pas le manque d'originalité. Il pouvait presque pardonner le caractère morose de ses congénères mais pas leurs individualités contraintes. Les journées qui se suivent et se ressemblent lui donnaient des boutons et, du plus loin qu'il se souvenait, les meilleurs morceaux de sa vie avaient l'odeur de la découverte.

 

Il se lassait vite des saisons, n'en profitant pleinement qu'à leur arrivée. Il aurait voulu qu'elles s'enchaînent, une semaine d'exhalaisons de rosée et d'herbe fraîche, une de pollens, d'orages et bois sec, une de terre et de bois humide et enfin une dernière semaine où les odeurs prendraient congé, laissant place à la virginité d'une imposante cape de neige. Son destin, croyait-il, était de voyager sans s'arrêter afin de découvrir tous les climats, tous les parfums, tous les paysages du monde.

Toutes les filles aussi.

Son sparring partner mental lui lança à ce moment précis de sa réflexion une réplique cinglante à propos du pucelage qu'il devait d'abord perdre.

Fronçant les sourcils, il jette son clope à terre, aussitôt ramassé par sa pote Zaza. [soit dit en passant, elle passait, il ne l'avait pas remarquée avant et il foire complètement sa tentative de dissimulation de sursaut]

 

- Merci pour la fin, seigneur Degan, vous êtes trop bon!

- Mais de rien la gueuse!

- Premièrement, on fait pas le malin quand on a peur des filles... (regard amusé)

- (regard de déni)

- Et deuxièmement non seulement c'est toi le gueux parce que t'as jamais de quoi fumer, mais en plus t'en jettes la moitié à chaque fois!

- C'est parce que je pense aux crasseuses comme toi.

 

Elle s'assoit à côté de lui dans le vieil abreuvoir et ils entament une discussion sans prétention, sans complexes et sans ambigüité. Vers la fin de celle-ci, lors d'un silence, il met une grande claque intérieure dans la gueule son sparring partner pris d'un accès de libido. « Toutes les filles méritent de me dépuceler, garçon, lui répond-il, mais pas Zaza. Elle est un îlot de sécurité au milieu de toutes ces filles avec lesquelles il faut pas faire de boulettes, c'est certainement pas maintenant que je vais fantasmer sur elle! »

 

- Tu souris parce que t'as retrouvé ton neurone, rouquin?

- Mmmmpf... Non, j' pensais au barbecue de demain.

- Et tu te marrais parce que tu vas bouffer plus que tout le monde, parce que tu t'imagines Le God' en train de vomir ou parce que tu t'es décidé à attraper Laelia?

- Parce que tu vas passer ta soirée à dormir après que je t'aie foutu une branlée à la picole, p'tite caisse!

 

Quelques derniers échanges de vannes et ils retournent dans leurs foyers respectifs profiter de la popote de maman et de l'engueulade de papa à propos de l'heure tardive.

« Bien vu ce barbecue, pense le jeune homme en marchant d'un pas vif, je sens qu'ça va l'faire avec Laelia, ouais! »

Pauvre Degan, si il avait vécu dans un monde où l'on trouve des ours, il aurait su qu'on en vend pas la peau avant de l'avoir tué...

 

*en enfantin dans le texte

Alors voilà. Vous pouvez admirer cette bûche autant que vous le désirez. Ne me remerciez pas.

Alors voilà. Vous pouvez admirer cette bûche autant que vous le désirez. Ne me remerciez pas.

Rédigé par Medaye le Hataï

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M
hep patron, t'en remets une tout d'suite!!<br /> ... sans ambiguïté...<br /> non parce que tes histoires de bûche à la fin, ça pourrait venir contrarier le sens, hein... bon...
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